22 mai 2011

Documents pour l'intervention du Mercredi 2 juin (Marie André - Paris IV-Sorbonne)

La conception philologique du droit au début de la Renaissance 

Extrait de la De uetere ac nouitia iurisprudententia oratio de Nicolas Bérauld (1533), p.6-8 :

(A)La définition de la loi elle-même qui me venait immédiatement à l’esprit, c’est celle qui consistait à dire qu’elle était « une raison souveraine inculquée par la nature, pour ordonner les bonnes actions, interdire les actes contraires et honteux »[1]. Cependant, cette définition ou plutôt cette description de la loi me donnait aussitôt du fil à retordre précisément sur ce point, à moi qui étais entravé par le mot « raison » : (1) j’avais souvent entendu dire que la raison humaine est une « particule de cet esprit divin »[2] et comme une étincelle de la lumière divine, dont les philosophes disaient qu’elle a une puissance incroyable. Néanmoins, ce qu’était la « raison souveraine », je ne pouvais moi-même le saisir ni, alors que je désirais très vivement le savoir, trouver quelqu’un pour me l’exposer franchement et clairement. En effet, je voyais bien que la raison humaine est infirme et faible, au point que croire qu’elle était l’âme de la loi, ce dont beaucoup étaient persuadés, je ne pouvais y être amené en aucune manière. (2) L’idée selon laquelle certains disaient plus finement que la « raison souveraine », c’est Dieu, une loi éternelle de l’univers[3], cela me semblait être un peu trop subtil pour pouvoir me satisfaire, moi, avide et cherchant avidement à savoir la vérité. (3) Ce que d’autres ont rapporté aurait pu me sembler plus probant, si j’étais capable de comprendre que la « raison souveraine » est la raison humaine, à sa naissance et à son début infirme et faible, mais par d’ineffables augmentations et accroissements, en progrès, de sorte que l’on peut dire à juste titre qu’elle est parfaite et souveraine[4], puisque ce qui peut être considéré et ce qui est souverain et parfait, c’est ce qui échoit habituellement à l’homme et « est propre à sa condition, en raison de laquelle on dit que l’homme a été crée par Dieu souverain »[5].  J’ai souvent entendu dire que « l’homme a été conçu par le créateur suprême de toutes choses selon une condition remarquable : c’est une créature qui peut prévoir, ruser, se souvenir, capable de parler et de raisonner, et d’utiliser cette intelligence dont manquent les créatures courbées qui regardent vers le sol auxquelles le créateur de tous a donné seulement le souffle lors de la création du monde, alors qu’il a insufflé en nous aussi une âme entourée de tant de soutiens remarquables et soutenue par tant d’ornements »[6]. Mais pour avouer la vérité, ils me semblaient bien obscurs et, à dire vrai, confus, les propos que ces nombreux individus tenaient sur la « raison souveraine » en donnant la définition de la loi. En effet, quoi de plus obscur que quand on dit que « la nature, qui fait des progrès assez considérables et se développe longuement sur la base de notions qu’elle connaît d’après l’intuition primitive esquissée en elle-même sans aucun enseignement, soutient la raison et la perfectionne ? »[7] Elle qui est appelée aussi raison parfaite, et à juste titre, comme disent ces individus, suprême sagesse, d’après eux »[8]. (B) Et, vraiment, ce n’est pas moins obscur, ce que les mêmes gens disent au sujet de la loi suprême, qui « serait non une loi écrite, ratifiant, ordonnant ou défendant un acte par écrit, mais une loi née il y a bien des siècles, avant l’écriture ou avant la constitution d’un état ou d’une ville »[9]. (4) Enfin, le fait qu’on dit que nous recelons ces semences de la nature que chacun doit soigner, nourrir et faire croître au prix de nombreuses veilles et de beaucoup de sueur, et le fait que ces graines dont la nature elle-même a doté les hommes, qui sont réchauffées par l’empressement et le zèle, sont éteintes en quelque sorte et étouffées par la paresse et l’indolence[10], ces individus en disputent aussi de façon encore beaucoup plus subtile et obscure. Qui ne se rend pas compte que cela n’a rien à voir avec la substance (pour utiliser leurs propres termes) de la loi écrite et du droit établi ? (5) Enfin, on traite très habilement de ces connaissances dont les jurisconsultes en personne dissertent et qui sont tirées des sanctuaires de la philosophie, sur lesquelles les mêmes ont l’habitude de réfléchir et de parler : elles concernent la sociabilité innée chez les hommes, la cité qui leur est commune et le lien[11], que, dit-on, Dieu très bon très grand a mis en place entre les hommes et Lui ; néanmoins, elles reçoivent un mauvais accueil au cours des procès, - ni un juge occupé, ni même un juge ignare ne les écoute de bon gré-, et elles ne coïncident absolument pas avec les procès de chacun en particulier ».

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Biographies
Droit médiéval
Accurse, jurisconsulte et professeur de droit romain né à Florence vers 1182 et mort à Bologne vers 1260. Ce remarquable glossateur est considéré comme le rénovateur du droit romain. Voir M. de Savigny, Histoire du droit romain au Moyen Âge, IV, Paris, Charles Hingray, 1839, p.142-52.

Bartole, juriste né vers 1300 à Sassoferrato et mort à Pérouse en 1356. Docteur en droit à Bologne, il fut ensuite professeur à l’Université de Pise. Voir M. de Savigny, Histoire du droit romain, IV, p.223-30.

Droit de la Renaissance
Guillaume Budé, né le 26 janvier 1468, fit des études de droit à Orléans. Après s’être fort ennuyé à l’Université, il s’adonna à la chasse et aux amusements. A vingt-trois ans, il entreprit de se cultiver tout seul. Il fut nommé au collège des notaires et secrétaires du roi et fit partie des ambassades en Italie en 1501 et 1505, mais préférait ses chères études. Après avoir hérité de ses parents, il se maria en 1505 ou 1506 et s’adonna aux études en dépit de sa mauvaise santé. Il occupa diverses fonctions au fil de sa vie : diplomate, secrétaire par périodes, responsable de bibliothèque, prévôt des marchands en 1522, maître des requêtes ordinaires de l’hôtel du roi la même année. Il mourut à Paris le 22 août 1540. Son œuvre juridique majeure, publiée en 1508, s’intitule Annotation aux Pandectes.

Nicolas Bérauld, né vers 1470, fit ses études de droit à Orléans. Il dispensa des cours de droit à Orléans puis à Paris dans les années 1510. Par la suite, il fut à la fois éditeur, imprimeur, précepteur et auteur d’ouvrages pédagogiques, religieux ou encore juridiques. Il composa en 1533 un discours sur le droit intitulé De uetere ac nouitia iurisprudententia oratio. Il mourut vers 1550.

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Bibliographie


BERAULD, Nicolas, Nicolai Beraldi de uetere ac nouitia iurisprudententia oratio cum erudita ad antiquorum lectionem ac studium exhortatione, Paris, Chrestien Wechel, 1533. Exemplaire de la BNF X-18347 et NUMM-52762.

ROSSI, Giovanni, Incunaboli della modernità. Scienza giuridica e cultura umanistica in André Tiraqueau (1488-1558), Torino, G. Giappichelli Editore, 2007.

Id., « Le Oratione di Marc Antoine Muret (1526-1585) : humanae litterae e iurisprudentia a confronto nella Roma del Cinquecento », Acta conventus neo-latini Bonnensis, proceedings of the twelfth International Congress of Neo-Latin studies, Bonn 3-9 august 2003, ed. R. Schnur, Arizona center for Medieval and Renaissance Studies [Medieval and Renaissance Texts and Studies, 315], Tempe, Arizona, 2006, p.696-705.

STRAUSS, Leo, Droit naturel et histoire, Flammarion [Champs], 1986.

VILLEY, Michel, La formation de la pensée juridique moderne, Presses Universitaires de France [Quadriges], 2006.



[1] Cicéron, De legibus, I, 18.
[2] Proche d’Horace, Satires, II, 2, 79.
[3] Proche de Cicéron, De legibus, II, 8.
[4] Ibidem, I, 25
[5] Ibid., I, 22.
[6] Ibid.
[7] Ibid., I, 27.
[8] Ibid., I, 22
[9] Ibid., I, 19.
[10] Proche d’Ibid., I, 33.
[11] Proche d’Ibid., I, 16 et 23

6 janv. 2011

Prochaines séances

Le séminaire a toujours lieu au CESPRA, en salle 11, de 19 à 21h.

Le 12 janvier, la séance portera sur le scepticisme démocratique chez Kant et Tocqueville et sera animée par Frédéric Cohen.

Le 26 janvier, Patrice Guéniffey, directeur d'études à l'EHESS, interviendra pour évoquer la situation des recherches historiques sur la Révolution française.

Le programme du séminaire a été modifié. Vous pouvez en consulter la version actualisée sur ce blog en vous reportant aux messages du mois d'octobre 2010.

L'équipe du séminaire vous souhaite une très bonne année 2011.