26 nov. 2010

Exemplier et bibliographie indicative pour la séance du mercredi 1er décembre, salle 11, 19 à 21h

Séminaire de doctorants – L’indétermination de la notion de démocratie – Séance n°2/mercredi 1er décembre : « Du Bien Commun à l’intérêt général : l’avènement d'une conception moderne du cadre démocratique ».

Texte 1 : Platon. « La tyrannie ». La République. Edition Flammarion. 2004. p. 431

- Vois donc, mon cher camarade, de quelle manière se produit le régime tyrannique. Il est évident, en effet, qu'il résulte en gros d'une transformation de la démocratie.

- C'est évident.

- Est-ce que le mode de transformation de la démocratie à la tyrannie n'est pas le même que de l'oligarchie à la démocratie ? [562b]

- Comment ?

- Le bien qu'on mettait de l'avant, dis-je, et qui constituait le but en vue duquel l'oligarchie a été instaurée, c'est la quête de toujours plus de richesse, n'est-ce pas ?

- Si.

- Or, c'est l'appétit insatiable de richesse et, découlant de cette quête de la richesse, la négligence de tout le reste, qui ont conduit à la ruine de cette constitution.

- C'est vrai, dit-il.

- Eh bien, n'est-ce pas justement l'appétit insatiable de ce que la démocratie considère comme son bien qui va conduire à sa perte ?

- Qu'est-ce qu'elle considère à ton avis comme son bien?

- La liberté, répondis-je. Ce bien-là, tu entendras dire dans une cité gouvernée démocratiquement [562c] que c'est le bien le plus beau et que pour cette raison, la cité démocratique est la seule où un homme libre par sa naissance jugera digne de s'établir.

- Cette affirmation, dit-il, on l'entend souvent, en effet.

- Eh bien, repris-je, et c'est là ce que je m'apprêtais à dire, n'est-ce pas le désir insatiable de ce bien et la négligence de tout le reste qui déstabilisent cette constitution politique et la mettent en situation de recourir nécessairement à la tyrannie ?

- Comment ? dit-il.

- Quand une cité gouvernée démocratiquement et assoiffée de liberté tombe par hasard sous la coupe de mauvais échansons [562d] et s'enivre du vin pur de la liberté, dépassant les limites de la mesure, alors ceux qui sont au pouvoir, s'ils ne sont pas entièrement complaisants et ne lui accordent pas une pleine liberté, elle les met en accusation pour les châtier comme des criminels et des oligarques.

- Voilà ce que la cité fait, dit-il.

- Quant à ceux, repris-je, qui respectent l'autorité des gouvernants, on les invective en les traitant d'hommes serviles et de vauriens, mais les gouvernants qui passent pour des gouvernés, et les gouvernés qui passent pour des gouvernants, ce sont eux dont on fait l'éloge en privé comme en public, ce sont eux auxquels on accorde du respect. N'est-il pas inévitable que dans une telle [562e] cité l'esprit de liberté [VIII-71] s'étende à tout ?


Texte 2 : Saint Thomas D’Aquin. La Somme Théologique.
On vient de le dire : la loi relève de ce qui est le principe des actes humains, puisqu'elle en est la règle et la mesure. Mais de même que la raison est le principe des actes humains, il y a en elle quelque chose qui est principe de tout le reste. Aussi est-ce à cela que la loi doit se rattacher fondamentalement et par-dessus tout. Or, en ce qui regarde l'action, domaine propre de la raison pratique, le principe premier est la fin ultime. Et la fin ultime de la vie humaine, c'est la félicité ou la béatitude, comme on l'a vu précédemment Il faut par conséquent que la loi traite surtout de ce qui est ordonné à la béatitude.
En outre, chaque partie est ordonnée au tout, comme l'imparfait est ordonné au parfait ; mais l'individu est une partie de la communauté parfaite. Il est donc nécessaire que la loi envisage directement ce qui est ordonné à la félicité commune. C'est pourquoi le Philosophe, dans sa définition des lois, fait mention de la félicité et de la solidarité politique. Il dit en effet que " nous appelons justes les dispositions légales qui réalisent et conservent la félicité ainsi que ce qui en fait partie, par la solidarité politique ". Car, pour lui la société parfaite c'est la cité.
En n'importe quel genre le terme le plus parfait est le principe de tous les autres, et ces autres ne rentrent dans le genre que d'après leurs rapports avec ce terme premier ; ainsi le feu qui est souverainement chaud, est cause de la chaleur dans les corps composés qui ne sont appelés chauds que dans la mesure où ils participent du feu. En conséquence, puisque la loi ne prend sa pleine signification que par son ordre au bien commun, tout autre précepte visant un acte particulier ne prend valeur de loi que selon son ordre à ce bien commun. C'est pourquoi toute loi est ordonnée au bien commun.
Ia, IIae, Q. 90, Art. 2
Une chose est dite de droit naturel de deux façons. D'une part, parce que la nature y incline, par exemple : " Il ne faut pas faire de tort à autrui. " D'autre part, parce que la nature ne suggère pas le contraire : ainsi pourrions-nous dire qu'il est de droit naturel que l'homme soit nu, parce que la nature ne l'a pas doté d'un vêtement ; c'est une invention de l'art. En ce sens on dit que " la possession commune de tous les biens et la liberté identique pour tous " y sont de droit naturel ; c'est-à-dire que la distinction des possessions et la servitude ne sont pas suggérées par la nature, mais par la raison des hommes pour le bien de la vie humaine. Et même en cela, la loi de nature n'est pas modifiée, sinon par addition.
Ia, IIae, Q. 94, Article 5
Deux choses conviennent à l'homme au sujet des biens extérieurs. D'abord le pouvoir de les gérer et d'en disposer ; et sous ce rapport il lui est permis de posséder des biens en propre. C'est même nécessaire à la vie humaine, pour trois raisons : 1° Chacun donne à la gestion de ce qui lui appartient en propre des soins plus attentifs qu'il n'en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs ; parce que chacun évite l'effort et laisse le soin aux autres de pourvoir à l'œuvre commune ; c'est ce qui arrive là où il y a de nombreux serviteurs. 2° Il y a plus d'ordre dans l'administration des biens quand le soin de chaque chose est confié à une personne, tandis que ce serait la confusion si tout le monde s'occupait indistinctement de tout. 3° La paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui lui appartient ; aussi voyons-nous de fréquents litiges entre ceux qui possèdent une chose en commun et dans l'indivis.
IIa, IIae, Q. 66, Art. 2

Texte 3 : Condorcet. Marquis de Jean-Antoine-Nicolas de Caritat. Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain. 1793

Première époque. Les hommes sont réunis en peuplades
Deuxième époque. Les peuples pasteurs. - Passage de cet état à celui des peuples agriculteurs
Troisième époque. Progrès des peuples agriculteurs, jusqu'à l'invention de l'écriture alphabétique
Quatrième époque. Progrès de l'esprit humain dans la Grèce, jusqu'au temps de la division des sciences, vers le siècle d'Alexandre
Cinquième époque. Progrès des sciences depuis leur division jusqu'à leur décadence
Sixième époque. Décadence des lumières, jusqu'à leur restauration, vers le temps des croisades
Septième époque. Depuis les premiers progrès des sciences, lors de leur restauration dans l'Occident, jusqu'à l'invention de l'imprimerie
Huitième époque. Depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'au temps où les sciences et la philosophie secouèrent le joug de l'autorité
Neuvième époque. Depuis Descartes jusqu'à la formation de la République française
Dixième époque. Les progrès futurs de l'esprit humain


Texte 4 : Marcel Gauchet. L’avènement de la démocratie. T.1 : La révolution moderne. Gallimard. nrf . Bibliothèque des Idées. 2007. p. 29

Jamais la foi du charbonnier dans le progrès qui triomphe n’aura régné avec une telle quiétude satisfaite ; jamais la radicalité subversive n’aura recruté de soldats si résolus. Le bonheur des uns contre l’horreur des autres. La certitude tranquille quant à la marche de l’histoire, chez la plupart, mais chez beaucoup, néanmoins, le vertige devant l’abîme qui s’ouvre, et l’absolue volonté d’en briser le cours chez quelques-uns. Nul ne peut dire ce qu’il serait advenu de ces tensions sans le cataclysme qui se déclenche en août 1914, né lui-même d’un indéchiffrable mélange d’aveuglement optimiste sur la tournure d’un tel conflit et de fascination autodestructive pour l’Apocalypse. Mais ce qui est sûr, c’est que la pluie de sang qui balaie l’Europe va sceller pour longtemps la condamnation de l’hébétude bourgeoise. Elle va ouvrir la porte toute grande à ces aspirations au pouvoir total qui se développaient dans les marges du cheminement laborieux du droit des peuples. L’initiative passe aux refus totalitaires. La suite du siècle sera dominée par la recherche d’une alternative à l’impuissance de la liberté.

Bibliographie indicative :

Cette liste n’a pour objet que de donner quelques pistes bibliographiques qui pourront être évoquées au cours de la prochaine séance et des séminaires ultérieurs.

-         Marcel Gauchet. L’avènement de la démocratie. T.1 : La révolution moderne. .2 : La crise du libéralisme.  T. 3 : A l’épreuve des totalitarismes. Gallimard. nrf .. Bibliothèque des Idées. 2007/2008 et 2010 respectivement pour chacun des trois tomes.
-         Marcel Gauchet. Le désenchantement du monde. Gallimard. Folio. Nlle édition 2005.
-         François Châtelet. Histoire de la philosophie. Hachette. Poche. Coll. Pluriel. 1999
-         John Rawls. Théorie de la justice. Paris. Seuil. Points Essais.1997
-         Léo Strauss. Droit naturel et histoire. Flammarion. Champs. 1999
-         Léo Strauss. De la tyrannie. Précédé de Hiéron de Xénophon et suivi de Tyrannie et sagesse par Alexandre Kojève. Gallimard. Tel. 1983
-         Hannah Arendt. La politique a-t-elle encore un sens ? Herne. Collection Carnets de l’Herne. 2007
-         Alexandre Koyré. Etudes d’histoire de la pensée philosophique. Gallimard. Tel. 1981

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire